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Il y a LE jeu d’Echecs et il y a LES jeux d’Echecs. Comme tout le monde, j’ai joué au premier. J’y ai beaucoup joué et y joue encore, trop. Il est peu probable qu’un autre jeu me plaise autant que celui-ci un jour. Et pourtant je ne refuse jamais une partie de Terraforming Mars, Targui, Tikal ou Taluva, pour ne citer que quelques merveilles d’initiale T. J’ai tant joué aux Echecs que j’y ai atteint voici bien longtemps mon niveau maximal de compétence ; vous savez, celui où il est déconseillé de monter encore d’après le principe de Peter.
Mais, fort heureusement, une alternative s’offre au joueur frustré par le jeu qu’il a tant aimé pratiquer. Il lui suffit d’élargir sa vision aux Jeux d’Echecs. Ceux qui me connaissent savent que j’ai, légèrement, débordé de ce cadre pour englober tous les jeux que l’on dit « abstraits »... Mais c’est une autre histoire !
Au fil du temps, j’ai donc complété une petite collection de jeux et de variantes, qui font l’objet de cet article. Sans entrer dans le détail des règles de chaque jeu, je tenterai de présenter leurs caractéristiques principales, leur originalité, leurs forces ou leurs faiblesses.
Collection n’est pas anthologie, aussi le lecteur ne devra-t-il pas être surpris de ne pas trouver dans cet article l’exhaustivité d’une encyclopédie.
Mais tout d’abord une question : quand peut-on dire que l’on joue à un Jeu d’Echecs ?
Peu importe qu’il y ait des pièces de buis modèle Staunton ou non, un plateau carré, deux joueurs... Non.
On joue selon moi à un jeu d’Echecs si le jeu respecte les conditions suivantes :
Le jeu est symétrique : les règles sont identiques pour tous les joueurs
Les joueurs disposent de pièces dont le type définit les possibilités de mouvement
Le but du jeu est unique et consiste à capturer une pièce de l’adversaire, le roi
Les joueurs jouent tour à tour
Aucune notion de hasard ou de négociation n’est utilisée.
Ainsi existe-t-il de nombreux jeux de réflexion qui ne sont pas des jeux d’Echecs. On ne joue pas aux Echecs en jouant aux Dames, à Djambi ou à King et Assassins par exemple.
Depuis l’écriture de cet article, je reçois des questions du type « Pourquoi ne considérez-vous pas tel jeu comme un jeu d’Echecs ? »
Je tenterai d’y répondre dans le post scriptum au bas de cette page en montrant quelques jeux « presque d’échecs ».
Et non, le Tablut n’est pas « le Jeu d’Echecs viking » et le Fanorona n’est pas « le Jeu d’Echecs malgache ».
Jeux locaux et historiques
Commençons par le début en suivant les pérégrinations des Echecs sur le continent asiatique, au fil des siècles et des royaumes.
Le Makruk
Originaire de Thaïlande, le Makruk partage avec les Echecs Occidentaux tous les principes généraux de déplacement et certaines pièces : Rois, pions, Tours et Cavaliers. Mais pas de Fous ni de Dames. Ces armes à longue portée sont ici bien plus faibles et le Met comme les Nobles ne se déplacent jamais de plus d’une case.
Jouer au Makruk est une intéressante plongée dans l’Histoire des Jeux d’Echecs. On y ressent l’esprit caractéristique du jeu... Et le manque de dynamisme qui conduira à son évolution.
D’autres jeux asiatiques sont plus éloignés du jeu occidental et, en quelque sorte, plus réjouissants.
Le Xiang Qi chinois
Des Tours certes mais c’est à peu près tout ce qu’il y a de familier dans ce jeu d’Echecs ! Les Cavaliers ne sautent pas. Les pions changent de pouvoir en traversant la rivière, les Éléphants n’osent pas franchir cette frontière et les Bombardes canonnent par-dessus les défenses ennemies. Quant aux Rois, ils sont cantonnés dans leur palais et refusent de croiser le regard du suzerain adverse.
Une partie de Xiang Qi, c’est comme un tour de Grand Huit à la fête foraine. Le jeu est très dépaysant, déroutant et d’une grande richesse tant tactique que stratégique.
Le cousin coréen, Janngi
Avec ce jeu, on perd la rivière centrale et les pions et Eléphants en profitent pour gagner en puissance. Une version sur-vitaminée du Xiang Qi, très plaisante.
Sur l’Archipel, le Shogi
Plus de pièces, une Tour et un Fou, des Lanciers, des promotions puissantes, l’enrôlement des pièces capturées à l’adversaire dans sa propre armée par parachutage... Au Japon, le Jeu a pris une tout autre direction ! Des Généraux viennent épauler le Roi qui n’est plus enfermé dans son palais et doit construire un château solide pour résister aux assauts adverses. Si les pions sont plus nombreux, ils ne capturent pas en diagonale et l’on ne peut donc pas parler de structure de pions comme on l’entend dans les Echecs Occidentaux. Il s’agit plutôt de béliers, lancés contre la forteresse opposée. La règle de parachutage, ajoutant une complexité tactique insoupçonnée, nécessite expérience et réflexion approfondie pour se montrer efficace. Le Shogi est un bonheur qui se mérite.
Un Shogi design et des pièces internationales
De nombreuses variantes, sur de plus petits plateaux permettent des parties plus rapides à ce jeu où la victoire se construit souvent pas à pas.
Changeons de continent
Marre des cases quadrillées, passons un instant sur l’Echiquier hexagonal de Glinski :
Il existe plusieurs variantes échiquéennes utilisant un plateau hexagonal. Le jeu du polonais Glinski est celui qui a aujourd’hui la plus grande (mais très relative) popularité, sans doute en raison de son adaptation réussie du mouvement des pièces à ce changement de terrain. Le cerveau s’adapte relativement bien à ce qui reste « un Jeu d’Echecs occidental », pratiqué en terre inconnue.
Le plateau est un peu grand à mon goût cependant et les trois Fous ne suffisent pas à couvrir l’immensité de la plaine. Pour amateurs de grands espaces !
A propos d’espace, les trekkies me reprocheraient de faire l’impasse sur le jeu 3D issu de la série qui dépasse la frontière de l’infini :
Ici encore, il s’agit d’un jeu occidental, adapté aux contraintes d’un espace particulier. En vue de dessus, certaines cases se superposent, ainsi plusieurs pièces peuvent occuper le même espace, sur les plans différents. La vue en 3D complique bien sûr beaucoup la tenue d’une bonne réflexion mais le jeu reste « jouable ». Un point de règle ne cessera jamais de m’étonner et me décevoir toutefois : les quatre mini-échiquiers 2x2 sont mobiles, les déplacer constitue un coup... Qui n’est possible que lorsqu’il n’y a qu’une seule pièce sur un tel mini-plateau, autrement dit, rarement et rarement utilement : en fin de partie, un pion pourra filer à vive allure vers une promotion gagnante sur son tapis volant.
Autre jeu 3D digne d’intérêt, bien que peu pratiqué d’ici aux ultimes frontières de la Fédération, XYZ Chess de Rick Hewson propose un compromis compact avec son plateau 4x4x4 et une adaptation à la fois simple et rusée des règles de mouvement dans l’espace. Dame, Tour et Fou étendent à la troisième dimension leurs capacités naturelles (ce qui a pour effet notable d'augmenter le pouvoir des Fous face aux Tours) tandis que Cavaliers et pions subissent une évolution plus radicale : les premiers devant changer de plan à chaque déplacement tandis que les seconds sont limités à leur unique tranche d'univers. Dans ce monde là, le combat rapproché est âpre et violent.
Si l’on veut de l’Espace, on peut aussi jouer sur un plateau carré plus grand et ajouter quelques pièces originales. De nombreux auteurs ont voulu « améliorer » le Jeu Occidental dont on prédit régulièrement la mort par excès d’études théoriques (mais qui est toujours bien vivant). Il existe ainsi plusieurs centaines de variantes, que j’ignore sciemment, pour ne montrer ici que celle qui représente leur pyramidion : Les Grands Echecs, de Christian Freeling.
Sur ce plateau 10x10, les pièces sont déposées en seconde rangée, limitant l’espace à parcourir vers le camp adverse et les tours en première rangée sont déjà connectées et prêtes à choisir leur colonne d’attaque. Un Cardinal (Fou+Cavalier) et un Maréchal (Tour+Cavalier) renforcent puissamment les armées en jeu.
Une belle alternative est également proposée par Jean-Louis Cazaux avec Shako, qui ajoute aux pièces classiques les deux armes du XiangQi, Bombarde et une variante légèrement plus puissante de l’Eléphant.
On peut bien sûr aller plus loin en ajoutant d’autres pièces féériques, comme dans Pemba (de J-L C toujours).
Le jeu le plus grandiloquent en la matière est peut-être Superschaak, de Henk van Haeringen, dont le bestiaire propose plus de 50 pièces différentes et 8 sortes de pions.
Une partie de Superschaak avec 1 Empereur, 1 Ministre, 1 Prince, 1 Magicien, 2 T-pions et 2 pions rapides
Le jeu est un univers en lui-même, les joueurs choisissant leur armée en début de partie (non, on ne joue pas avec les 50 en même temps). Protection à distance, immobilisation, transfiguration de pièces, pièces espions promouvables... La panoplie est large et passionnante. Un peu trop large cependant et, à ce jour et 30 ans après le lancement du projet, 12 pièces décrites dans les règles n’ont pas été réalisées.
Plus petit alors !
Là encore, le nombre de variantes proposées par les inventeurs est immense (et il est facile de les tester, en faisant imprimer quelques plateaux réduits). Voici ma préférée : King Clone, d’Ingo Althöfer.
Le jeu démontre qu’il suffit d’une idée, pour peu qu’elle soit excellente !
Sur un plateau 7x7, placez deux Rois dans chaque camp. Si l’on perd un Roi, ce n’est pas grave, il en reste un ! Ainsi les Rois n’ont-ils plus peur et jouent un rôle actif sur le plateau : se faire échanger contre le plus gros matériel adverse possible. Un bouleversement stratégique décapant.
Et chez les éditeurs de jeux ?
Iello a localisé l’incroyable
Khet - the laser game.
Nous voici aux limites des Jeux d’Echecs. Les pièces n’ont plus rien à voir avec celles du jeu classique, un laser et des jeux de miroirs donnent le mat... Mais toutes les conditions énoncées en début d’article sont respectées. Une excellente création.
NaviaDratp par Bandai
Une profusion de matériel pour ce jeu de figurines à collectionner emphatique qui reprend le principe de Superschaak dans un univers asiatique : Shogi, manga et yōkai sont de mise. Chaque personnage possède sa carte descriptive et son « évolution », accessible par une sorte de promotion, en payant le coût de celle-ci grâce à un astucieux système de gain de pierres Gyullas. Aussi grandiose que ruineux !
Quelques autres jeux :
Arkantar Des cases qui se retournent et forment des forteresses pour un excellent jeu qui reste très accessible.
Bosworth Jusqu’à 4 joueurs, les pièces sont des cartes, elles entrent en jeu sur le bord
du plateau... C’est la guerre ouverte, une boucherie jouissive mais peu contrôlable.
Yokaï No Mori Un mini Shogi thématisé, belle réussite de l’éditeur Ferti.
Pocket Invaders Un mini Shogi, bien moins réussi que le précédent.
Hive Une grille hexagonale infinie, des pièces originales, une très belle variation moderne... dont le manque de dynamisme peut cependant lasser.
Tile Chess La grille virtuelle est carrée et les pièces en carton, comme un proto de Hive (mais par Steve Jackson !)
Ploy ou Ovni, Les pièces sont des soucoupes spatiales, de 2 à 4 joueurs.
Feudal ou Graal, jusqu’à 6 joueurs dans un combat médiéval.
Tempête sur l’échiquier Des cartes que les joueurs utilisent au bon moment pour appliquer leur effet et renverser la situation sur l’échiquier. Une extension des Echecs plus qu’une variante. C’est vraiment fun !
Dans les boîtes
Last but also least
Yalta et les jeux à trois joueurs.
Quelles que soient les règles spécifiques ajoutées par les inventeurs pour équilibrer le jeu occidental à trois joueurs, ça ne fonctionne pas. La raison en est évidente et insoluble : les échanges se font entre 2 camps et profitent automatiquement au troisième, qui conserve ses pièces.
Très réjouissante cependant est une partie de Xiangqi à trois joueurs, comme le propose ce bien beau « Trois royaumes », édité dans les années 70 par l’Impensé Radical. Aux pièces chinoises classiques s’ajoutent des Bannières (plus souvent appelées chameaux dans les Echecs féeriques) et dont le pas est plus ample que celui des Cavaliers :
Un dernier mot, spécialement destiné à toi, auteur d’une variante échiquéenne qui va révolutionner le monde du jeu :
Ne la poste pas en commentaire de cet article, je la supprimerais illico !
A la place, quelques lectures :
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Post Scriptum : des jeux Presque-d’Echecs
Pour tenter de répondre aux interrogations que suscite cet article sur la catégorisation des jeux en « Jeu d’Echecs » ou non, voici quelques exemples de jeux d’affrontement que je considère comme étant très proches… Sans respecter vraiment tous les critères. Ça n’en fait pas de moins bons jeux pour autant.
Terrace
Le mouvement des pièces est identique pour toutes et conditionné par le terrain : monter, descendre, rester au même niveau sont trois coups différents. Il y a bien un Roi à capturer (petite pièce T) ; mais l’on gagne également en faisant traverser le plateau à son propre T.
Ayanu
Un jeu très chouette à jouer dans lequel les pièces sont en deux parties, le symbole qui indique les directions de déplacement et le socle qui donne la distance. Mais pas de Roi à prendre, il faut atteindre la case extrême, à l’extérieur du plateau.
Axom
Cette fois le but du jeu est bien de capturer le Roi adverse. Mais les pièces ne se déplacent pas comme on l’entend communément aux Echecs : elles se dépilent et s’empilent les unes sur les autres, changeant de force et de direction selon l’effectif et la parité des nouvelles piles obtenues.
Trench
Je ne suis pas fan du design de celui-ci ! Dans Trench, chaque pièce possède une faculté de déplacement propre et il faut capturer… Autant de pièces adverses que possible pour marquer le plus de points.
La-trel
Quatre Tours, deux Fous, deux Dames constituent l’ensemble des pièces attaquantes qui se déplacent comme aux Echecs mais capturent comme au jeu de Dames, tandis que six ou huit Defenders et deux Blockers sont des pièces défensives incapables de capture. Prenez ou bloquez toutes les pièces attaquantes de l’adversaire pour gagner la partie. Le jeu se développe très lentement, trop sans doute, car lorsque la position s’ouvre les captures s’enchaînent dangereusement !
Martian Chess
Des pièces neutres, que vous pouvez jouer si elles sont dans votre camp ou capturer si elles sont dans le camp adverse. Le but est de marquer le plus de points possible. Malgré son nom, Martian Chess nous éloigne encore un peu du Jeu d’Echecs.
Si l’on s’autorise des jeux asymétriques ou contenant des éléments cachés, des tirages aléatoires, des coups simultanés… nous aurons totalement quitté le jeu d’Echecs pour l ‘univers des Jeux d’Affrontement.