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Une rescapée pour débuter les articles du Megalow blog.
Rédigée sur une feuille volante, un jour saisie sur un PC puis perdue et retrouvée ce matin endormie au fond d'un ancien portable.
Un embryon, un résumé... Une bonne idée de ce qui peuplera la catégorie "Des histoires" !
J'espère vous émouvoir un peu (légèrement, ne sortez pas les mouchoirs) avec cette petite histoire, ça le fait ?
J'ai pensé lui donner une suite, raconter l'histoire de Fanny... Un jour peut-être.
Souvenir terrestre
Une autre photo, un autre souvenir. Les étoiles qui brillent encore.
Nous avions préparé ces tenues clownesques pendant un jour entier en plongeant tête la première dans les malles d'accessoires de l'oncle Ernest. Ernesto le magnifique et ses deux souris. Notre premier tour de piste. C'est son écriture jaunie, là, à l'arrière, presque effacée : « Cirque Poids Plume » et « Vandrimare, 13 octobre 57 ».
Ce souvenir, c'est Ernesto qui l'a figé sur pellicule. La lumière humide de ce jour-là dégouline encore sur nos maquillages. J'étais Fanny l'artiste ; un maillot de bain fleuri que je ne reconnais plus, lunettes de plongée, tuba et tout l'attirail ; prête à recevoir les seaux d'eau, les bacs de mousse qui m'avaient été promis. Lueur espiègle dans mes yeux. J'en riais déjà !
Au premier plan, c'est la frimousse délavée d'Eugénie, clown blanc d'un jour, qui rayonne de la candeur de ses cinq ans. Cette journée dans les coulisses du cirque itinérant d'Ernesto, elle nous en parle encore... Presque tous les dimanches que nous passons ensemble.
Mais son sourire s'est envolé depuis – quand déjà ? - un mois de janvier d'il y a huit ou neuf hivers. Chaque fois que la vie trépidante d'Ernesto revient dans nos conversations, c'est désormais avec plus de mélancolie que de rires que nous l'évoquons. Et lorsque nous sentons en nous assez de force pour le supporter, la scie musicale dont Eugénie a appris à jouer vient pour quelques larmes alléger notre peine.
Balayage de ma main devant l'image holographique, zoom automatique sur l'écran virtuel, clic sur l'icône tridi. L'intérieur du chapiteau emplit maintenant ma cabine. Les dix photographies prises ce jour-là s'agrègent pour reconstituer cette portion limitée d'espace, figée dans le temps comme un insecte aux ailes déployées noyé à jamais dans l'ambre : ma plus belle journée sur Terre.
Je m'avance de quelques pas, contourne nos répliques enfantines pour me placer juste derrière elles. Si j'ose me retourner, mon oncle sera là, le seau prêt à s'envoler au bout de ses bras tendus, son rire si éclatant que je croirais l'entendre... Et l'eau jaillissant vers mon visage. J'attends encore.
A bord du Magnifique, rien d'autre ne rattache plus les passagers à leur Terre dévastée que ces racines synthétiques.
Si, il y a la scie d'Eugénie qui joue encore pour nous. Et puis j'ai un chat.
Pégase est encore loin.